Au musée d'Orsay, la ménagerie d'une femme d'avant-garde, Rosa Bonheur

Riche et adulée de son vivant telle une rock star d'aujourd'hui, Rosa Bonheur (1822—1899) a sombré dans l'oubli pendant des décennies. La rétrospective que le musée d'Orsay consacre au peintre animalier à l'occasion du bicentenaire de sa naissance est l'une des expositions les plus surprenantes de cet automne.

 

Visite avec Marianne Lohse ©

 

 

Plus que d'autres artistes, Rosa Bonheur cristallise les passions et des visions particulières. Elle est à l'origine de phénomènes d'identification, elle a plus que jamais un rôle de symbole ! " souligne Leila Jarbouai, commissaire de l'exposition avec Sandra Buratti-Hasan

 

Les féministes en redécouvrant Rosa Bonheur en ont fait une icône, un chef de file de la communauté LGBT. Homosexuelle, cette femme qui ne voulait dépendre que d'elle-même n'a cependant jamais milité, ne s'est jamais rebellée contre l'ordre social.  Les Verts voient dans son travail un plaidoyer écologiste avant l'heure. Mais ce " chantre de la ruralité " chassait et mangeait de la viande... Ce qui ne l'empêchait pas d'être sensible à la cause animale (elle fut l'un des premiers membres de la SPA).

 

En deux cents œuvres dont les incontournables grands formats si prisés outre-Atlantique, Orsay, avec le partenariat du musée des Beaux-Arts de Bordeaux et du château de By-Thomery où vécut l'artiste révèle une personnalité complexe, fascinante, hors norme. Peintre, dessinatrice mais aussi lithographe, sculptrice et photographe, Rosa Bonheur mériterait qu'on se penche davantage sur ses fantastiques esquisses, ses aquarelles, ses pastels, ses caricatures et ces cyanotypes qu'elle rehaussait au crayon ou à la gouache blanche.

 

Cheval de face avec son palefrenier - 1892 ca. Cyanotype avec graphite et rehauts de gouache blanche sur fin papier vélin 22,5 x 16,5 cm By -Thomery, Musée Rosa Bonheur © Château de Rosa Bonheur, By Thomery 

Photo © musée d'Orsay /Sophie Crépy 

 

Elle nait à Bordeaux, dans une famille d'artistes. Son père, Raymond est portraitiste, sa mère Sophie musicienne. Marie-Rosalie qu'on appelle Rosa se forme dans l'atelier familial. Dessin et modelage sont une pratique quotidienne. Un drame qui la marquera à jamais - elle a onze ans à peine - frappe les Bonheur installés à Paris. Gagné aux idées saint-simoniennes, Raymond a rejoint sa communauté au couvent de Ménilmontant. Sophie qui enchaine les petits travaux pour faire vivre ses enfants meurt prématurément d'épuisement.  Dans son parcours artistique comme dans sa vie intime, ce traumatisme sera déterminant pour Rosa. Elle choisira de rester célibataire, bien décidée à réussir dans son métier de peintre animalier, à s'imposer " à la force du pinceau " dans un monde essentiellement masculin.

Très tôt, elle porte des pantalons. Une tenue pratique pour fréquenter fermes et abattoirs. Ou arpenter sentiers d'Auvergne et lande écossaise. Il lui a fallu pour cela obtenir une autorisation préfectorale de travestissement. Mais soucieuse de ne pas choquer, elle revêt ses plus jolies robes pour recevoir l'impératrice Eugénie, le président Sadi Carnot ou le roi Edouard VII.

A dix neuf ans, elle expose pour la première fois au Salon ("Deux lapins"). En 1848, une commande de l'État va booster sa carrière.  Ce sera " Le labourage nivernais ".

 

Labourage nivernais, dit aussi Le sombrage 1849 133 x 260 cm Huile sur toile Paris, musée d'Orsay

Photo ©Musée d'Orsay, Dist. RMN -Grand Palais / Patrice Schmidt 

 

 

Pour préparer ce tableau, Rosa s'est rendue sur le terrain comme elle le fait toujours. Dans sa composition, les paysans sont presque flous. Ce sont les bœufs charolais aux muscles saillants qui captent l'attention. Grand succès du Salon de 1849, cette " allégorie de la terre nourricière " est un coup de maître. On encense la vigueur, la technicité de son travail et cette empathie si perceptible entre le peintre et ses modèles.

 

Édouard-Louis Dubufe (1819-1883) et Rosa Bonheur (1822-1899) Portrait de Rosa Bonheur 1857 Huile sur toile 130,5 x 97 cm Dépôt au Musée du château de Versailles © RMN-Grand Palais (Château de Versailles) 

photo Gérard Blot. Note : La tête du bovin est peinte par Rosa Bonheur.

 

De très nombreux portraits de Rosa Bonheur jalonnent l'exposition. On s'attarde volontiers devant celui peint par Edouard Dubufe (1857). Visage aux traits réguliers sous des cheveux courts, elle s'appuie sur l'échine d'un jeune taureau qu'elle a tenu à représenter elle-même.

 

Rosa Bonheur dans son atelier 1893 Huile sur toile 91 x 124 cm Bordeaux, Musée des Beaux-Arts © Mairie de Bordeaux, musée des Beaux-Arts, photo L. Gauthier

 

Entre ce tableau et celui que lui consacre Georges-Achille Fould vers 1893 (ci-dessus), il y a trente-six ans d'une vie de travail incessant, d'innombrables études classées par animal dans de grands cartons où elle pioche au gré des sujets qu'elle veut peindre, des décorations qu'elle arbore fièrement dont la Légion d'honneur que lui a remise l'impératrice Eugénie " parce que le génie n'a pas de sexe ". Cheveux blancs comme neige, blouse de travail bleu, elle pose dans son atelier, qu'elle appelle " son sanctuaire ", foulant au pied la peau de sa lionne Fathma.

Elle s'est entourée d'une véritable ménagerie, créant même sur sa propriété un parc aux cerfs. Les ovins ont longtemps compté parmi ses compagnons et modèles favoris mais elle n'hésite pas à cohabiter avec des fauves.

 

El Cid - Tête de lion 1879 Huile sur toile 95 x 76 cm Madrid, Museo Nacional del Prado ©Photographic Archive Museo Nacional del Prado

 

Voire le portrait de l'impressionnant El Cid. " Je ne me plaisais " dit-elle " qu'au milieu de ces bêtes. Je les étudiais avec passion dans leurs moeurs. Une chose que j'observais avec un intérêt spécial, c'était l'expression de leur regard ".

 

Rosa Bonheur et Nathalie Micas (1824 -1889) Le Marché aux chevaux 1855 Huile sur toile 120 × 254,6 cm Londres, The National Gallery - Don de Jacob Bell, 1859 Photo : © The National Gallery, London

 

 

L'immense engouement suscité par " Le Marché aux chevaux ", une toile colossale, lors du Salon de 1853 lui a permis d'acquérir un domaine, à la lisière de la forêt de Fontainebleau : le château de By, à Thomery. Elle a trente huit ans quand elle s'y installe avec son amie d'enfance, Nathalie Micas et la mère de celle-ci, Henriette. Les deux femmes s'occupent de l'intendance laissant au peintre, toute liberté pour se consacrer à son art. Après la mort de Nathalie, la portraitiste Anna Klumpfe sera la compagne des dernières années, sa biographe. Et sa légataire universelle, préservant et les lieux et sa mémoire.

Difficile d'imaginer aujourd'hui ce que fut la popularité de Rosa Bonheur à l'apogée de sa carrière. On a pu parler de véritable " rosamania ". Diffusées par son marchand, Ernest Gambart, des lithographies de ses œuvres les plus connues inondent le marché américain. Gambart multiplie savamment les "coups". Ses animaux sont reproduits sur des boites d'allumettes, des services à thé, des papiers peints. On fabrique une poupée à son effigie. Rosa Bonheur figure même sur l'affiche du Buffalo Bill‘s Wild West  en train de peindre  William Cody à cheval, entre Napoléon et le célèbre cow-boy venu présenter sa troupe  en marge de l'Exposition Universelle de Paris !

D'importantes découvertes ont été faites au château de By depuis son rachat, en 2017 par Katherine Brault. Témoin le dessin sur toile aux dimensions du " Marché aux chevaux " restauré et présenté pour la première fois par Orsay.  Ou le remarquable ensemble de cyanotypes. L'exploration des archives et des greniers se poursuit. Vous n'avez pas fini d'entendre parler de Rosa Bonheur.

 

Chevaux sauvages fuyant l'incendie 1899 Huile sur toile 126 x 221 cm Barbizon, musée départemental des peintres de Barbizon, en dépôt à By -Thomery, château de Rosa Bonheur

Photo © Château de Rosa Bonheur


Marianne Lohse

Musée d'Orsay,1 rue de la Légion d'Honneur. Paris 7ème

Jusqu'au 15 janvier 2023

musee-orsay.fr

 

Créé le : 28/10/2022 - Mise à jour : 01/11/2022
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