Festival de la B.D. à Angoulême : du 27 au 30 janvier 2011. Balade dans un royaume des bulles plus prolifique et plus séduisant que jamais

Le dernier week-end de janvier, tous les amoureux de la bande dessinée, ceux qui la lisent et ceux qui la font, ont rendez-vous à Angoulême, pour le plus grand Festival au monde. Qui succèdera à Baru, grand prix l'an dernier et donc, selon l'usage, président de la cuvée 2011 ? Les 200 000 visiteurs attendus auront droit à une véritable session de rattrapage sur les tendances passées, présentes et à venir de l'art le plus prolifique qui soit. Car la BD, probablement inventée en 1896 par l'Américain Outcault dont «Le Gamin jaune» («The Yellow kid») fit grimper les tirages du «World» de Pulitzer puis du «Herald» de Gordon Bennett, la BD est un art. Le neuvième.

Décodage :  Marianne Lohse

On peut bien chipoter : deux des événements culturels de l'année écoulée auront été Archi & BD, à la Cité de l'Architecture et du Patrimoine et l'exposition consacrée à Moebius, alias Jean Giraud, à la Fondation Cartier*. Déjà, en 2005, chez Futuropolis, Nicolas de Crécy avait, avec «Période glaciaire», inauguré une collection de bandes dessinées, en co- édition avec le Musée du Louvre.

 

 

Trois cents éditeurs présents à Angoulême, les majors et les indépendants, un millier d'auteurs, des invités de marque comme la star du manga, la Japonaise Ryoko Ikeda ou la veuve de Charles M. Schulz (les Peanuts viennent d'avoir soixante ans), des expositions, des concerts avec, entre autres, le groupe de rock Heavy Trash, un one man show de Geluck, le père du Chat : au royaume des bulles, la profusion est la règle.

 

 

Les retombées économiques ne sont pas négligeables puisque hôteliers et restaurateurs concentrent, sur quatre jours, le chiffre d'affaires habituellement réalisé sur plusieurs mois.

 

Cette année, la Sélection Officielle a retenu 58 albums (il y en a 8 pour la Sélection Patrimoine et 20 pour la Sélection Jeunesse). La compétition sera rude. Mais il ne faut pas oublier que 5165 ouvrages du secteur bande dessinée ont été publiés en 2010 contre 4863 en 2009… Parmi eux, de petits chefs-d'œuvre. Des ovnis. Et des albums vite faits, mal faits.

« Littérature et cinéma connaissent les mêmes aléas. On ne peut nier que la pluralité soit bénéfique ! » assure Benoît Mouchart, directeur artistique du Festival. «Notre volonté» dit-il encore «est de nous affirmer comme éclaireurs, en mettant en avant les œuvres qui le méritent. Et en précédant les goûts des lecteurs». Des choix parfois qualifiés d'élitistes, expositions et spectacles s'adressant davantage au grand public.

 

L'ile aux cent mille morts, de Fabien Vehlmann et Jason

 

Du quotidien fantasmé à l'utopie, la variété du genre est immense. L'intérêt reste fort. En dépit d'un léger tassement des ventes en 2010, la bande dessinée résiste à la crise. Si des magazines spécialisés ont disparu, une centaine de sites sont nés. Les blogs d'amateurs se multiplient.

"Dans notre pays, on ne compte pas moins de deux cents festivals » constate l'éditeur Romain Canonge, fondateur de la société Ad Tatum. Chaque année, il publie un annuaire professionnel de la bande dessinée et de l'illustration (5000 références) qui fait autorité. BD Caf' Mag, son bimestriel gratuit, est distribué en France et en Suisse chez des libraires indépendants qui élisent les albums les plus marquants. Calendrier, critiques et interviews sont très suivis. Rédactrice en chef de BD Caf' Mag, Christine Lancrey voit apparaitre, dit-elle « un nouveau lectorat féminin, jeune et branché. Et des auteures, trentenaires pour la plupart dont le talent se confirme".

 

 

Voilà belle lurette que la bande dessinée n'est plus considérée comme un moyen d'expression destiné aux enfants et en priorité aux garçons. Dans les maisons d'édition, on compte de plus en plus de coloristes, de scénaristes femmes. Et de créatrices à part entière (scénario et dessin). Mais 12 «auteures» sur 58 sélectionnées à Angoulême, de Nine Antico (Girls don't cry » chez Glénat) à Lucie DurbianoLo » chez Gallimard) en passant par Pénélope Bagieu Cadavre exquis » toujours chez Gallimard) et Céline DurandLa parenthèse» chez Delcourt), c'est à marquer d'une pierre blanche !

 

Lo, de Lucie Durbiano et La Parenthèse d'Elodie Durand

 

Autre événement : l'espace Mangasie qui accueille l'exposition «Manga underground : point de vue de femmes». Un éclairage très particulier sur la production japonaise mais aussi hongkongaise, taïwanaise ou coréenne. Ces regards de femmes sur le manga vont surprendre par leur fantastique liberté. Dés 1995, Angoulême reconnaissait l'importance du manga en lui consacrant un espace. Lente à démarrer sur l'Hexagone, la BD nippone a explosé.

 

Nanja Monja de Shizuka Ito

 

 

C'est, pour les jeunes générations, une composante naturelle de la pop culture mondiale. Avec des séries cultes comme «Dragon Ball»(Glénat) ou «Narito»(Kana) aux tirages dépassant, pour chaque tome, les 200.000 exemplaires. »Nous publions jusqu'à 15 tomes par mois » dit-on chez Kana, une filiale de Dargaud crée en 1996.

 

Le succès peut s'accompagner d'une toute autre politique éditoriale. Comme chez Futuropolis, la maison historique crée en 1972 par Etienne Robial et Florence Cestac et reprise à la fin des années 80 par Gallimard. Associé à Mourad Boudjellal, l'éditeur de Soleil Productions, Gallimard détient aujourd'hui 75% des parts. »Nous voulons» déclare Sébastien Gnaedig , directeur éditorial, »faire paraitre des livres au propos fort, à travers des récits de fiction ou de reportage qui touchent l'esprit et le cœur. La forme doit s'adapter à l'oeuvre et non l'inverse. D'où des albums très diversifiés, en noir et blanc, en bichromie ou en couleurs, en grand ou petit format, sans contrainte de pagination». «Nous ne publierons qu'une quarantaine d' ouvrages par an» renchérit Patrice Margotin, directeur général «seule façon, selon nous, de bien les défendre dans le tsunami de la production ».

 

Walking Dead de Robert Kirkman et Charlie Adlard

 

La BD en chiffres


Secrétaire général de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de la Bande Dessinée), Gilles Ratier dresse régulièrement le bilan d'une année de publication. En 2010 sont sortis 5165 livres contre 4863 en 2009. Aux 3811 nouveautés s'ajoutent 980 rééditions et intégrales. Parmi les nouveautés, 1522 mangas. Légèrement en baisse, d'environ 1%, le chiffre d'affaires représenterait environ 400 millions d'euros.


Nos coups de cœur

 

  • Quai d'Orsay. T 1, Chroniques diplomatiques de Christophe Blain et Abel Lanzac (Dargaud).

Double d'Abel Lanzac qui travailla au cabinet de Dominique de Villepin, Arthur Vlaminck est engagé au Ministère des Affaires étrangères pour écrire les discours du ministre, Alexandre Taillard de Worms. Une exploration jubilatoire des coulisses du pouvoir où le trait expressionniste de Blain fait merveille.

 

 

 

  • Gaza 1956, en marge de l'histoire, de Joe Sacco (Futuropolis)

L'Américain Joe Sacco fiat figure de chef de file des « bédéreporters ». Il a même inventé le genre en mettant en dessins son travail de journaliste. Dans le Gaza d'aujourd'hui, cet album reconstitue, par témoignages croisés, le massacre de 275 civils palestiniens, en 1956, par l'armée israélienne. Une oeuvre saisissante, déjà amplement récompensée.

 

 

 

  • Pluto, de Naoki Urasawa et Osamu Tezuka (Kana)

Le maître du thriller manga («Monster») revisite en beauté l'univers du grand Osamu Tezuka, disparu en 1989, en s'emparant du personnage d'Astro Boy dont il rêvait, enfant. Qui massacre, un à un les plus puissants robots de la planète. Percutant, ce suspense a des accents contemporains avec sa guerre mondiale étrangement proche du bourbier irakien.

 

 

 

  • Il était une fois en France. T4. Aux armes citoyens ! de Fabien Nury et Sylvain Vallée( Glénat)

Ce tome 4 évoque l'été 1944 où tout s'accélère. Personnage central, Joseph Joanovici dit Joano ou M. Joseph, ferrailleur juif enrichi, a vraiment existé. Héros ou collabo ? Les auteurs laissent la réponse en suspens en brossant le portrait d'un homme aux abois, piégé par ses contradictions. Une oeuvre magistrale.

 

 

  • Cadavre exquis, de Pénélope Bagieu (Gallimard)

C'est le premier récit au long cours de cette jeune femme de 29 ans, l'un des auteurs sur lesquels mise Joann Sfar, directeur chez Gallimard de la collection Bayou. Devenue célèbre grâce à son blog ( « Ma vie est tout à fait fascinante »), Pénélope raconte avec drôlerie les aventures de Zoé, une hôtesse d'accueil un peu nunuche dont la vie change avec la rencontre de Thomas, un écrivain à succès . On aime l'adorable frimousse de l'héroïne, ses réplique naïves ou vachardes, le coup de théâtre final, plutôt malin, le trait élégant, les a-plats de couleurs très «girly».

 

 

 

  • Toute la poussière du chemin, de Jaime Martin et Wander Antunes (Aire Libre/ Dupuis)

Sur un scénario du Brésilien Wander Antunes mis en images par l'Espagnol Jaime Martin, cet album nous entraîne dans l'Amérique de la dépression. Comme dans «Les raisins de la colère» de Steinbeck, les gens sont dépossédés de leurs biens, jetés sur les routes. Tom parcourt le pays, à la recherche d'un enfant perdu, se heurte à l'injustice, à la violence, au racisme. Une œuvre sobre et forte où constamment l'émotion affleure.


 

 

Voir les unes de toutes les BD en compétition sur le site du Festival.

 


 

Parmi les très nombreux auteurs présents à Angoulême, relevons Benoît Feroumont (Dupuis) avec ses 2 albums  "Le Royaume"

  

 

et Arthur de Pins avec son "Zombillénium", également chez Dupuis

 

 


Le Musée de la BD à Angoulême présente jusqu'au 24 avril une exposition intitulée "Parodies : la bande dessinée au second degré".  Une oeuvre imitant une autre oeuvre, la B.D. ne s'est jamais privée d'exploiter le filon.  Donald Duck transformé en Joconde insolente, Harry Potter devenu "Harry Cover" et Superman entarté sont quelques bons exemples de ce genre généralement hilarant.


* L'hommage à Moebius à la Fondation Cartier pour l'art contemporain est visible jusqu'au 13 mars 2011

Créé le : 16/01/2011 - Mise à jour : 25/01/2011
SCAPPI | 26.01.2011 - 16:57
Voilà un reportage comme je les aime, complet mais pas rébarbatif.
On y sent la connaissance et la curiosité, tout à la fois l'amour des classiques et la recherche des nouveaux talents.
Le 8eme art a trouvé une supportrice érudite.
Bravo
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Commentaires :
SCAPPI | 26.01.2011 - 16:57
Voilà un reportage comme je les aime, complet mais pas rébarbatif.
On y sent la connaissance et la curiosité, tout à la fois l'amour des classiques et la recherche des nouveaux talents.
Le 8eme art a trouvé une supportrice érudite.
Bravo

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