Escapade en Alsace, dans les pas de René Lalique

Riche d'un passé millénaire, l'Alsace a parfois occulté l'époque, douloureuse, du Reichsland (1871- 1914).Après l'annexion à l'Allemagne, une ville nouvelle (Neustadt) de 400 ha, s'est construite, à Strasbourg, au nord-est de l'ancienne. Massive, l'architecture wilhéminienne, longtemps peu appréciée, intéresse à nouveau. Mais c'est surtout le Jugendstil que les Alsaciens redécouvrent aujourd'hui. L'ouverture du Musée Lalique, à Wingen-sur Moder, y est sans doute pour beaucoup.

 

 

Reportage : Marianne Lohse ©

Dans les années 1900, avec pour porte bannière, à Munich, la revue «Jugend»(Jeunesse), ce mouvement enflamme toute l'Europe : qu'on le nomme Art Nouveau en France (il est à son apogée en Lorraine française avec l'Ecole de Nancy), Sécession en Autriche, Modernisme en Catalogne, Liberty en Italie, partout il bouscule un certain classicisme. Liberté des formes, puissance de la couleur, références constantes à la nature : c'est un art joyeux, sensuel, qui se veut total. Les inconditionnels de la cathédrale et de la Petite France vont bientôt se laisser surprendre par d'autres balades. A Strasbourg, on concocte pour eux un circuit Art Nouveau qui les mènera des Bains Municipaux, boulevard de la Victoire, au Palais des Fêtes, rue Sellénick.

 

Très fréquentés par les scolaires, les étudiants et d'intrépides octogénaires, les Bains Municipaux méritent vraiment le détour. Ce temple de l'hydrothérapie, conçu par l'architecte Fritz Beblo a ouvert ses portes en 1908. Il est inscrit à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques. Fini la gymnastique suédoise, la fangothérapie et les bains pour chiens. Mais les deux bassins à l'origine, l'un pour femmes et l'autre pour hommes ont toujours grande allure avec leurs plafonds en voûte, leurs fontaines, leurs vitraux et leurs carreaux bleu de Prusse. Entre les deux rangées d'alcôves de bois sombre des bains romains, on chemine dans le plus simple appareil vers les étuves. La plus chaude atteint 75°C. Cocasse : le bain de 30 minutes (2€) dans une baignoire d'époque. La robinetterie étant classée, on viendra après que vous vous serez immergé, retirer vos robinets.

 

Bains municipaux, © OT Strasbourg

 

Autre étape : l'Ecole des Arts Décoratifs édifiée, rue de l'Académie, en 1892, sous la houlette de l'architecte en chef de la ville, Johann- Carl Ott dans un ancien jardin botanique. Briques vernissées, larges baies, façades ornées de grands panneaux de céramique à motifs floraux : l'ensemble dégage un charme certain.

 

 Ecole des arts décoratifs - © C Fleith-ADT67

 

Ott est aussi l'auteur du Lycée International des Pontonniers, le long de l'Ill. Pour cet établissement modèle, de style historiciste, on n'avait pas hésité à récupérer, dans des maisons vouées à la démolition, éléments décoratifs en bois superbement travaillés, céramiques et vitraux en cul de bouteille. L'oriel prolongeant la salle des professeurs daterait ainsi de 1589.

 

 

 Lycée des Pontonniers - © C.FLEITH

 

La belle Allée de la Robertsau relie la place de l'Université au quartier des institutions européennes. Les demeures cossues s'y succèdent. Au numéro 76, la villa Schutzenberger (1900) construite par Julius Berninger et Henri-Gustave Krafft pour un riche brasseur abrite plusieurs institutions. D'inspiration toscane, elle est d'une rare élégance avec sa façade en pierre de Savonnières au fronton sculpté de fleurs de lys. Au 56, on voit bien que Heinrich Backes et Franz Lutke qui signent un immeuble de rapport pour le maître- boulanger Georg Cromer, se sont lâchés : grille forgée aux motifs de tulipes, rosiers montant à l'assaut de deux oriels, baies centrales asymétriques coiffées d'un cintre où s'épanouissent des fleurs de lotus…

 

Maison égyptienne  © OT Strasbourg 

 

Rue du Général Rapp, l'incroyable Maison Egyptienne ( 1900) n'a pas livré tous ses secrets. Conçue par un jeune autodidacte, Franz Scheyder, pour un tailleur qui y tenait boutique, elle est peinte d'une fresque géante, aux couleurs éclatantes. Adolf Zilly y a représenté une chasse au canard dans les marais du Nil.

 

Cap sur Obernai. Dans son atelier de Saint- Leonard nous attend le marqueteur Jean- Charles Spindler. Jean- Charles perpétue un merveilleux savoir- faire : celui de son grand père, Charles Spindler. Peintre, aquarelliste, journaliste, écrivain, photographe, Charles s'intéresse en 1893 la technique de la marqueterie. L'Alsace lui inspire des scènes intimistes. Les plantes, le japonisme, l'Histoire, de grandes compositions d'esprit symboliste. Ses œuvres figurent dans les plus grands musées. « L'Art Nouveau était pour lui sans frontières. Il aimait passionnément sa région, sa culture. Ce qui ne l'empêchait pas d'être proche d'intellectuels de tous horizons, autrichiens, allemands ou français». L'artiste illustre affiches et livres, dessine des objets, des boiseries, des meubles marquetés qu'on peut voir dans la salle dite de Dresde. Un enchantement. Jean- Charles qui a succédé à son père, Paul (lui s'adonnait à la sculpture) réalise des pièces uniques dans une centaine de bois différents pour des institutions, des hôtels de luxe comme le Mandarin Oriental, Et rêve d'une exposition qui rendrait hommage à cet ancêtre au talent protéiforme.

 

Par la route des vins, on atteint le Parc naturel des Vosges du Nord et la petite ville de Wingen-sur-Moder. Inauguré le 1er juillet, après des années de gestation, le Musée Lalique est situé à quelques encablures de la cristallerie, sur l'ancien site verrier du Hochberg, en activité aux XVIIIème et XIXème siècles. Intégrant des bâtiments centenaires, son architecture confiée à Jean-Michel Wilmotte associe harmonieusement le béton habillé de pierre au verre.

 

 Musée Lalique-parvis-Wilmotte- Artefactory

 

Pièces uniques de la collection permanente, dépôts, prêts de collectionneurs privés, dessins, cires perdues, photographies, films dévoilant certaines étapes de la fabrication font l'originalité de ce lieu de mémoire, porté par les collectivités territoriales. Qui se veut aussi un lieu ouvert. La production se poursuivant et se diversifiant, on peut y voir les créations des descendants de René Lalique: son fils Marc qui renonce définitivement au verre pour le cristal (un lustre monumental de 3 mètres de haut dont il est l'auteur accueille les visiteurs), sa fille Suzanne Lalique- Haviland, sa petite- fille Marie-Claude ainsi que celles du studio de design actuel : Lalique appartient en effet, depuis 2008, à la société suisse Art & Fragance SA que préside Silvio Denz.

 

Broche La nymphe rose - vers 1906-1908 (c) Shuxiu Lin - Coll. privée

 

Extravagants, sublimes, les bijoux de René Lalique ont fait de lui l'un des artistes les plus géniaux de l'Art Nouveau. En 1910, trop plagié, il délaisse la joaillerie pour sa seconde passion, le verre, déjà associé en intaille ou en camée aux pierres précieuses.

« Dés 1907, à la demande de l'industriel François Coty, il a inventé d'autres chefs d'œuvre : des flacons de parfum. Nous en présentons 228, prêtés par Silvio Denz qui possède la plus grande collection au monde» souligne la directrice du musée, Véronique Brumm.

 

Bouchon de radiateur Grande Libellule, 1928 © Andy Small – John Nemeth Collection 2010

 

Lalique va devenir le créateur le plus prolifique de son temps, ornant de mascottes translucides (des bouchons de radiateur) les luxueuses automobiles des Années folles, décorant les wagons de l'Orient Express. Ou la salle à manger de première classe du paquebot Normandie. Il signera même des verrières pour l'église Sainte Nicaise de Reims. Et exécutera toute une chapelle pour les sœurs d'un monastère du Calvados, à La Délivrande. « Ce musée» dit encore Mme Brumm « est dédié à une double carrière extraordinaire, Lalique passant avec un égal bonheur du statut d'artisan- artiste à celui d'industriel-créateur. Il avait choisi ce site pour y implanter son usine, en 1921, après la première guerre mondiale, ses ateliers de Combs-la- Ville à l'est de Paris ne suffisant plus. Un choix dicté aussi par le savoir-faire des verriers de la région et les mesures incitatives du gouvernement, désireux de faire de l'Alsace et de la Moselle retrouvées des vitrines de la France».

 

Flacon Le Baiser du faune pour Molinard - 1928 (c) Lalique SA - Coll_ Silvio Denz

 

Avec beaucoup de clarté, le parcours muséal montre l'évolution de «l'inventeur du bijou moderne», selon les mots du Nancéen Emile Gallé, évoquant ses débuts de dessinateur, les personnages qui ont compté comme Sarah Bernhardt, Calouste Gulbenkian ou le prince Asaka YahusiKo (créée ex nihilo, la collection permanente a démarré avec l'achat du pendentif « Femme- Libellule»).

 

Pendentif Femme Libellule Ailes Ouvertes (vers 1898-1900 )

(c) J -L Stadler - Musée Lalique

 

Quand Lalique s'installe en Alsace, il a déjà soixante et un an. Stupéfiant de maestria, il va abandonner le style foisonnant de l'Art Nouveau pour celui épuré de l'Art déco. Et triompher, en 1925, à l'exposition des Arts Décoratifs et industriels modernes. Comme il avait triomphé à l'Exposition Universelle de 1900.


Marianne Lohse

 

Musée Lalique
Rue de Hocheberg, 67290 Wingen-sur Moder.

Tel : 03 88 89 08 14

www.musee-lalique.com

Ouvert tous les jours de 10 heures à 19 heures jusqu'au 30 septembre. Du 1er octobre au 31 mars: ouvert du mardi au dimanche de 10 heures à 18 heures.
Un service de navettes est prévu pour relier la gare TER de Wingen-sur Moder (ligne Strasbourg-Sarreguemines- Sarrebruck) au musée.


Utile :

www.otstrasbourg.fr

Voir également l'article que Claire en France a consacré au Musée Lalique


Dans de beaux draps :


A la Cour d'Alsace. Au fond d'une cour dîmière, cet hôtel jouit d'un délicieux jardin (d'anciennes douves), bordé de remparts médiévaux. Chambres spacieuses, sobrement décorées, équipement hi- tech et piscine intérieure avec jacuzzi et contre- courant.
3 rue de Gail 67210 Obernai. Tel : 03 88 95 07 00 Chambres à partir de 90 € www.couralsace.com.


Bonnes tables


Buerehiesel. En plein cœur du Parc de l'Orangerie, à Strasbourg, cette ferme du XVIIème siècle a été amenée pièce par pièce pour l'expo industrielle de 1895. Aux beaux jours, on y déjeune et on y dîne en terrasse. Succédant à son père, Antoine Westermann, le chef aux trois étoiles, Eric Westermann a (presque) tout changé avec un menu à 35 € à midi et des prix divisés par deux ! Mais il a gardé une étoile et quelques uns des plats qui ont fait la renommée du restaurant. Telle la poulette pattes noires cuite entière comme un baeckeofe, à la truffe d'été.


4 Parc de l'Orangerie 67000 Strasbourg. Tel : 03 88 45 56 65


La Fourchette des Ducs. Le génial Ettore Bugatti dont les usines sortaient à Molsheim les plus belles automobiles du monde, menait grand train. Pour recevoir ses amis, il imagina en 1921 avec l'architecte Lucien Weissenburger, le marqueteur Charles Spindler et le verrier René Lalique une belle demeure: le Clos Saint Odile.

 

La fourchette des ducs-terrasse nuit - photo : Bielsa ©

Salle hiver - photo : Bielsa ©

 

Table à thé de Charles Spindler

Photo : Christine Kervadec ©

 

Nicolas Stamm et Serge Schaal en ont fait un restaurant 2 étoiles. Ne pas manquer de visiter la salle d'hiver à la cheminée décorée par Spindler d'un médaillon évoquant Sainte Odile. Epatante salade de homard breton, céleri rémoulade façon Waldorf. De 90 à 125 €
6 rue de la Gare 67 210 Obernai. Tel : 03 88 48 33 38

 

 

Créé le : 08/07/2011 - Mise à jour : 13/07/2011
Véronique Buisson-Massi | 16.07.2011 - 23:42
Bonjour,
Je suis française expatriée au Brésil depuis 1991. J´ai monté en 1993 une agence de voyage qui s´est progressivement transformée en Tour Opérateur spécialisé dans les voyage en France. Tous les ans nous envoyons une quinzaine de groupe en France, j´en accompagne pour ma part 5 ou 6, avec une thématique culturelle (historique, artistique ou culinaire) et mon mari,brésilien, en accompagne 4 ou 5 avec une thématique sportive (course à pied, tennis, cyclotourisme)
J´ai trouvé votre site très intéressant, j'espère que je trouverai le temps d´y puiser régulièrement des idées pour de nouveaux itinéraires.
Félicitations !

Véronique
Notre site: www.biarritz.com.br
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